Euro Détachement

 
L'information en matière de détachement
autour de l'accès et du partage de l'information

L'accès à l'information en ligne

L'information en matière de détachement est décisive pour permettre aux entreprises et aux travailleurs d'exercer leur droit à mobilité sur le marché intérieur.
Toute carence dans ce domaine impacte l'effectivité du droit du prestataire de services: à titre d'exemple, l'organisation patronale française représentant les entreprises d'intérim, indique que les entreprises de travail temporaire, ne souhaitant pas s'exposer à des risques de poursuites, renoncent à offrir leur prestation dans un autre Etat membre par ignorance des règles à respecter. L'activité transfrontalière des petites et moyennes entreprises, dépourvues de services RH conséquents pour gérer une opération aussi complexe, est également impactée par un déficit d'information.
Du coté des salariés, ce déficit est également lourd de conséquences : le non-respect des règles applicables sur le lieu du détachement est fréquent (non-respect des taux de salaires minimas, des temps de travail, des règles de prise en charge des frais de transport et d'hébergement, etc…) conduisant à des rémunérations de niveaux équivalents à celui de leur Etat d'origine (rappelons que le salaire minimum mensuel va de 157€ en Roumanie à 376€ en Pologne : source Eurostat 2013. Toutefois quelle que soit l'information disponible, l'importance du chômage dans l'Etat de résidence habituel impacte les choix des salariés : s'ils sont amenés à hiérarchiser leurs priorités, ils privilégient l'accès à un emploi plutôt que le respect de leurs droits sociaux dans l'Etat d'exécution de la prestation. Cette situation n'est pas sans poser problème à ceux qui entendent faire respecter les droits sociaux des salariés détachés.

Etat des lieux des sites internet

Du point de vue de l'accès à l'information, on peut aujourd'hui affirmer que l'information est disponible sur des sites de dimension européenne (le site de la Commission européenne, le site des partenaires sociaux de la construction) ou sur des sites des administrations publiques des Etats membres. Tous les Etats membres impliqués dans ce projet ont mis à disposition une information sur le détachement sur le site de l'autorité publique en charge du contrôle de tout ou partie des règles, dans leur langue et dans une ou plusieurs autres langues des Etats membres avec lesquels les échanges sont importants (exemple: le site de  l'administration du travail en Pologne a traduit l'information en allemand, anglais et russe; celui de la Finlande propose des traductions vers le suédois, l'estonien, l'anglais et le russe).
L'analyse permet encore de noter ici et là des carences (difficulté à trouver les sites via des moteurs de recherche, absence d'informations pour les entreprises et travailleurs nationaux, absence de traduction dans une autre langue, absence d'informations précises et/ou mises à jour, absence d'indications sur le régime de sécurité sociale etc…).
Parallèlement il est intéressant de constater que la fourniture d'informations sur le détachement n'est plus le fait des seules administrations du travail. Ainsi en Finlande, l'administration fiscale fournit des informations à destination des entreprises nationales projetant un détachement à l'étranger et des entreprises étrangères présentes en Finlande ; les organisations patronales assurent également le relais de l'information comme l'organisation des employeurs et le syndicat finlandais de la construction en Finlande qui ont ensemble élaboré et mis en ligne un guide à destination des entreprises faisant intervenir de la main d'œuvre étrangère en Finlande.
 
Autres tendances du web, l'information s'est diversifiée pour atteindre des publics particuliers et tenir compte de leurs besoins spécifiques :

  • En Pologne, le site de l'inspection du travail a mis en ligne des guides destinés aux travailleurs polonais migrants en fonction de l'Etat de destination : Autriche, Allemagne, Norvège, Pays Bas.
     
  • En France la campagne en direction des exploitations agricoles faisant appel à la prestation de services a été relayée par les services de l'administration du travail, la sécurité sociale agricole et l'organisation patronale.
     
  • Au Danemark, les partenaires sociaux du secteur de la construction ont construit un site dédié à la prévention des risques pour chaque type de métier du secteur professionnel en 4 langues.
     
  • Au Portugal plusieurs administrations ont relayé une grande campagne d'information visant à informer de leurs droits les portugais migrant à l'étranger (dans le cadre d'un détachement ou non)

    Campagne ACT Portugal


  • Enfin le web permet également de diffuser et de dénoncer les mauvaises pratiques liées au détachement : le site stop social dumping met en ligne des témoignages, des affaires révélées dans le secteur de la construction, à l'échelle européenne. Le site Faire mobilitaet développé par le DGB fait de même à l'échelle de l'Allemagne, tous secteurs professionnels confondus; l'objectif est de mettre en ligne toutes les formes d'abus liées à la mobilité (détachement et faux travailleurs indépendants), en relayant les articles de presse et les reportages TV qui y sont consacrés. Le site permet également d'informer les travailleurs des nouveaux Etats membres de l'aide qu'ils peuvent trouver dans les six centres de conseils. Le site est traduit en 4 langues.

L'amélioration de la communication

L'enjeu est aujourd'hui de faire vivre ces sites, de les mettre à jour régulièrement, de les enrichir, de les faire connaître, de les mettre en lien…. Les participants au projet et notamment ceux du premier atelier de Strasbourg ont émis plusieurs propositions :
  • Pour améliorer les contenus,

    • ils proposent de les construire en partenariat avec les partenaires sociaux de manière à ce qu'ils soient plus adaptés aux besoins réels ;

    • ils proposent d'améliorer les contenus sur le champ de la santé au travail; on constate en effet que si certains Etats membres ont une forte culture en matière de santé au travail qui se ressent sur les contenus délivrés dans leurs pages web (Danemark, Finlande..), les autres sites sont plutôt pauvres pour répondre aux enjeux de santé sécurité sur des chantiers impliquant plusieurs dizaines d'entreprises étrangères intervenant simultanément.
  • Pour faciliter l'accès aux sites internet mal référencés et sécuriser les internautes sur la qualité des informations délivrées, les participants proposent :

    • de labelliser les sites dignes de confiance en y apposant un logo commun identique dans les 27 Etats membres ;

    • de faire de la page détachement du site de la DG emploi affaires sociales de la Commission européenne un super guichet unique proposant tous les sites utiles par liens ; il suffirait donc de renforcer/remplacer/affiner les sites internet déjà proposés pour les 27 Etats membres.

Nous pourrions rajouter que ce projet pourrait être l'occasion pour les Etats membres et les partenaires sociaux d'enrichir leurs propres sites de liens vers les pages web utiles en matière de détachement (sites des administrations publiques et des partenaires sociaux des Etats membres avec lesquels des flux de détachement sont identifiés.)
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Aller à la rencontre des acteurs

Si le web est un formidable outil de communication, bien des participants ont souligné qu'ils ne sont pas consultés par les intéressés et que pour atteindre les salariés, rien ne vaut une présence physique sur les chantiers et lieux de travail, aux postes frontières, dans les lieux de culte etc… Ici la communication se heurte à deux phénomènes: l'isolement organisé des travailleurs détachés et leur refus de communication.
Dans le premier cas, l'isolement des salariés est organisé par le prestataire et est d'autant plus aisé que ces derniers sont vulnérables (ressortissants d'Etats tiers à l'UE nécessitant un permis de travail dans un Etat de l'UE avant leur détachement dans un autre Etat membre, non maîtrise de la langue, isolement physique, absence de moyen de locomotion) : le prestataire s'impose comme le référent unique pour gérer leurs besoins essentiels.
Dans le second cas, l'histoire sociale et culturelle des salariés détachés les rend méfiants à l'égard des organisations syndicales actives dans l'Etat d'accueil et leur intervention sur les lieux du détachement est vécue comme une menace potentielle pour leurs emplois.



Pour contrer ces phénomènes, les organisations syndicales de l'Etat d'accueil s'appuient sur des salariés natifs des mêmes Etats que les salariés détachés mais établis dans l'Etat d'accueil et/ou construisent des partenariats avec leurs homologues dans l'Etat d'origine.
C'est ainsi que la fédération de l'agriculture de la CFDT en France a développé un partenariat avec l'organisation bulgare NFZGS Podkrepa afin d'approcher plus facilement les salariés concernés aussi bien en Bulgarie qu'en France.
Information syndicale France Bulgarie

Sur les grands chantiers, même si l'information est à la fois plus complexe à organiser en raison du nombre important d'entreprises présentes et de leurs nationalités, on observe des initiatives pour délivrer des informations aux travailleurs directement sur site : Site Flamanville France
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L'enjeu de la prise de conscience

Les donneurs d'ordre : un acteur clef

Au-delà de la nécessité de délivrer des informations sur les cadres juridiques, les participants au projet soulignent qu'un des enjeux fort consiste à mobiliser les différentes parties prenantes de ces opérations pour améliorer la qualité des prestations de services et des conditions de travail. (Voir le domaine anticiper prévenir).
Un consensus a émergé au cours de nos travaux : les donneurs d'ordre dans le secteur de l'agriculture ou les "maîtres d'ouvrage" sur les opérations de construction jouent un rôle central dans ce domaine.
Leur mobilisation permet donc de trouver des leviers d'action efficaces.
L'objectif est la prise de conscience de ces acteurs clés afin de favoriser la recherche d'un équilibre entre le niveau de contrainte économique auquel ils sont confrontés et la nécessité de mettre en œuvre des opérations de prestations de service respectant les droits des travailleurs recrutés.
Face à ce conflit de logique, il s'agit alors de développer des argumentaires visant à mettre en lumière les intérêts partagés qui convergent vers une meilleure qualité de ces prestations et de démontrer que le "moins disant" à court terme, peut coûter très cher au plan humain mais aussi au plan économique.
Dans le secteur de la construction, les stratégies de sous-traitance au moindre coût aboutissent à des situations où le "process" échappe au maître d'ouvrage, confronté à la difficulté de coordonner des équipes de plusieurs nationalités différentes, ou à des travailleurs qui ne sont pas qualifiés pour réaliser leurs tâches.
Le retour d'expérience des maîtres d'ouvrage et des organisations professionnelles intervenus au cours du projet témoignent que ces stratégies ont des répercussions sur la qualité des travaux, sur les délais de réalisation, sur la performance des entreprises intervenantes.
Quand ces travailleurs sont sous payés, mal logés, que les conditions de travail sont dégradées et que des mécanismes de fraude fiscale ou sociale se mettent en place, les procédures engagées au plan pénal ou civil, les échos dans la presse, nuisent à l'image du donneur d'ordre.

Site Flamanville France




Apparait alors pour les maîtres d'ouvrage l'impérieuse nécessité de mettre en place des mécanismes de régulation, de surveillance, voire même de contrôle sur leurs opérations. Des actions de sensibilisation menées par les autorités publiques et les organisations professionnelles du niveau européen ou national pourraient jouer, dans cette direction, un rôle important.

Campagne Luxembourg

Sensibiliser les travailleurs détachés

De leur côté, les organisations syndicales témoignent de la nécessité de sensibiliser les travailleurs détachés afin de leur permettre d'accéder à l'information juridique sur leurs droits. Le défi n'est pas simple : il n'est pas facile d'atteindre les salariés sur leurs lieux de travail.
Ils sont souvent méfiants, voire même effrayés et plusieurs témoignages font état de pressions exercées par les employeurs pour qu'ils ne communiquent pas avec les organisations syndicales du pays d'accueil.
Les organisations syndicales soulignent que les conditions économiques dans lesquels se trouvent certains travailleurs les amènent à accepter des niveaux de rémunération et de protection sociale inférieurs à ce que prévoient les dispositions des pays destinataires.
Les écarts de niveau de vie et de salaire entre les salariés des Etats membres, le chômage auquel sont confrontés ces salariés font que le non-respect de leurs droits ne constitue pas un frein à leur mobilité.
La Confédération des syndicats chrétiens (CSC) de Belgique a mis en place un dispositif visant à accueillir, informer, et accompagner les travailleurs polonais venant travailler sur leur sol.

Information travailleurs Belgique

Elle relate avec son expérience que ces travailleurs se manifestent le plus souvent lorsqu'ils se trouvent confrontés à l'insolvabilité de leur employeur, à des mécanismes de fraudes relatifs à leur protection sociale, à des problèmes liés aux accidents du travail.
La défense de leurs droits nécessite alors qu'un accompagnement à postériori se mette en place pour qu'ils puissent engager des procédures civiles visant à régulariser leur situation. Les inspecteurs du travail des pays d'origine, qui accueillent les salariés à leur retour, indiquent que ces procédures sont longues et difficiles à mettre en œuvre du fait de l'absence de preuve, voire même de l'existence problématique de documents contractuels.
Ils relatent la vulnérabilité dans laquelle se trouvent les travailleurs détachés au moment de leur départ, ce qui les amènent à signer des documents les plaçant dans des conditions délicates au plan juridique pour faire valoir ultérieurement leurs droits (certains travailleurs signent par exemple deux contrats de travail différents avec le même employeur).
Les abus constatés touchent parfois jusqu'aux droits de l'homme, relevant des infractions et sanctions fixées par la Directive du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes (Directive 2011/36/UE dont la transposition doit être effective au 6 avril 2013).
L'utilité de campagnes de sensibilisation des salariés en amont apparait donc comme une nécessité et plusieurs initiatives se développent dans ce sens.

Site EURES Polska

Campagne ACT Portugal

Initiative SASeC Roumanie

Information travailleurs Belgique

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Mobiliser les acteurs relais

Quelques éléments de méthode ont ainsi pu être dégagés de ces différentes campagnes d'information ou de sensibilisation :

  • La première étape consiste à clarifier les objectifs poursuivis par ces campagnes et à déterminer des publics cibles.
     
  • La seconde consiste à s'interroger sur les contenus, et toute la plus-value de ces actions par rapport à la mise en ligne d'informations réside dans le fait qu'ils peuvent aller au-delà de la mise à disposition d'informations sur le cadre juridique.
Des informations plus pratiques, plus pédagogiques, mieux adaptées et plus spécifiques aux publics ciblés, répondant mieux à leur besoins et à leurs préoccupations ainsi que des argumentaires vont pouvoir être diffusés en fonction du but poursuivi.
Pour optimiser ces campagnes, atteindre plus largement les publics cibles, des partenariats vont pouvoir se développer avec d'autres acteurs, que nous pouvons qualifier d'acteurs "relais".
La campagne "travailler à l'étranger" menée au Portugal a été promue et coordonnée par le Ministère des Affaires Etrangères en partenariat avec l'Autorité pour les Conditions du Travail (ACT),
la Direction Générale des Affaires Consulaires et Communautés Portugaises (DGACCP), l'Institut de la sécurité sociale (ISS), l'Institut de L'Emploi et de la Formation Professionnelle (IEFP).
Le champ des informations communiquées était bien au-delà de l'information spécifique sur le détachement des travailleurs, mais l'intérêt de ce partenariat interinstitutionnel a résidé dans l'envergure de l'action déployée sur le territoire, diffusant de manière très large des informations utiles, y compris pour les futurs travailleurs détachés.
Outre le nombre de documents diffusés (5 000 affiches, 50 000 brochures, 100 000 dépliants), des évènements (journées européennes de l'emploi au Portugal) ont pu être organisés et relayés par les médias (TV, radio, journaux) qui ont joué un rôle dans la diffusion de l'information.
Au Luxembourg, ce sont les bourgmestres qui ont relayé les messages de sensibilisation des maîtres d'ouvrage à l'occasion de la délivrance des permis de construire.
Des lieux "relais" peuvent être également identifiés : administrations fréquentées par les entreprises ou les salariés, chambres consulaires, lieux de cultes fréquentés par les travailleurs polonais (Belgique).
Les ambassades et consulats peuvent également contribuer à délivrer de l'information.
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En conclusion

L'âge de pierre en matière d'information sur le détachement est derrière nous, même s'il reste des correctifs à apporter. Les auteurs et les publics cibles se sont diversifiés, les organisations syndicales sont en passe de se structurer à l'international pour faire face aux défis. Des actions se développent permettant, en période de crise des finances publiques, de mutualiser les outils créés entre acteurs mus par les mêmes objectifs.

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