Euro Détachement

 
Les conditions de travail des salariés détachés : comment agir en prévention? L'exemple des travaux forestiers

Travaux forestiers France.PDF

 

DIRECCTE UT 64
inspection du travail - Section interdépartementale Sud Landes
Courriel : dd-64.direction@direccte.gouv.fr

haut de page

Motivations

Cette fiche résulte des travaux de l'atelier transnational consacré à l'agriculture. Après la présentation d'un contrôle de l'inspection du travail sur un chantier forestier, les échanges ont débouché sur le questionnement suivant :

Les métiers de la forêt sont des métiers à forte pénibilité et dangerosité, notamment pour les travaux d'abattage évoqués dans le cas d'espèce. La question des conditions de réalisation du travail est donc incontournable pour les salariés détachés travailleurs de la forêt.

- Peut-on agir en amont en s'appuyant sur l'évident besoin d'une sécurité du travail satisfaisante dans un secteur considéré à haut risque ?
https://osha.europa.eu/en/publications/e-facts/efact29

- Quelles solutions préventives peut-on identifier ?


haut de page

Le cas d'espèce

Contexte

Une opération de vente de bois façonné est réalisée par un propriétaire forestier possédant une parcelle située en Dordogne (région Aquitaine- Sud-Ouest de la France).
Celui-ci recourt à un prestataire, Société Y, entrepreneur forestier dont le siège social est en région Rhône-Alpes (Sud Est de la France) (2 salariés).
La société Y s'appuie sur les relais locaux d'un exploitant agricole du grand Sud-Ouest (société N) pour répondre au marché par la sous-traitance.
Le sous-traitant est une société A de 8 salariés, immatriculé en Roumanie, crée par un ancien salarié de la société Y.

Les constatations et les suites données

Le contrôle débouche sur l'audition d'un ressortissant roumain travaillant pour la société A chargée des travaux de coupe de bois.
Aucune déclaration de détachement n'est parvenue aux services de l'inspection du travail. Le CODAF s'empare de l'affaire (comité opérationnel départemental anti-fraude réunissant la police, la gendarmerie, les administrations du travail et fiscale, les organismes de protection sociale, et présidé par l'administration préfectorale et le procureur de la république).
Les auditions du responsable de la société A font apparaître que l'activité de l'entreprise se situe principalement en France. Le responsable recrute tous les salariés en Roumanie mais n'y a jamais travaillé.

Les poursuites pénales s'orientent vers une demande d'immatriculation d'un établissement secondaire en France.

La fraude fiscale et sociale estimée dépasse 218 000 euros.
Les responsabilités pénales des dirigeants des sociétés Y et N tenus à une obligation de vigilance sont engagées.
Le propriétaire forestier est hors de cause.


haut de page

Prestation de service et réduction des coûts

La filière bois est une macro filière qui désigne globalement toute la chaîne des acteurs qui cultivent, coupent, transportent, cultivent, commercialisent et recyclent ou détruisent le bois.
En amont de la filière, l'activité d'exploitation forestière se caractérise, du moins en France, par une dispersion et une diversité des chantiers.
Le prix des matières premières varie et dépend de plusieurs facteurs. Il dépend des conditions de coupe, notamment des contraintes du travail à effectuer (terrain plat ou en déclivité, accidenté ou non, fragilité des sols). Il dépend également de l'essence du bois et de sa valeur, de la qualité de l'arbre.
Un propriétaire forestier peut alors décider de "vendre sur pied" (achat par un entrepreneur forestier ou par un transformateur), ou bien vendre du bois façonné après avoir effectué la coupe lui-même. Pour dégager des marges à la revente, l'intérêt est de travailler pour le client (donneur d'ordre) en flux tendus pour éviter les frais de gestion des stocks et leurs dévalorisations et de baisser les coûts de coupe.
Les coûts de coupe reposent sur la masse salariale, les obligations sociales, mais aussi la durée et la technicité de la coupe, le respect des normes de sécurité (matériel approprié, sécurisation du chantier). L'activité de coupe donne lieu aujourd'hui au développement de prestations de service transnationales dans un environnement concurrentiel (pays de l'Europe l'Est) et il est tentant pour les preneurs d'ordre comme les donneurs d'ordre de réduire ces différents coûts, avec comme conséquence, l'impact sur les conditions de travail et d'emploi des travailleurs.

Conjointement, en France, les métiers de sylviculteur et de bûcheron souffrent d'une faible attractivité à la fois parce que le bûcheron est encore parfois perçu avec des images sociales négatives ("il exerce son activité parce qu'il ne peut rien faire d'autre") et en raison de la dangerosité du métier. Le secteur est confronté à une difficulté de recrutement d'ouvriers qualifiés, et les conditions d'exploitation évoluent tendanciellement : utilisation d'engins mécaniques appelant d'autres compétences professionnelles, évolution du statut des entrepreneurs, intensification de l'affouage renforçant la présence de populations amatrices dans les forêts.


haut de page

Les déterminants des conditions de travail

Les conditions dans lesquelles se réalise le travail des bûcherons dépendent d'une grande variété de facteurs.

Le travail varie avec les saisons

Selon l'état du sol et de la pente, la mobilité est plus ou moins aisée pour accéder au chantier, pour transporter l'outillage, pour réaliser l'activité d'abattage.
En outre, pour faire face à la concurrence, des activités connexes se développent (élagage, dégagement de couloirs de ligne) générant une plus grande variété de terrains d'intervention.
Une densité forte de la parcelle peut rendre plus difficile l'activité (les arbres s'encrouent, par exemple). Le type de végétations influe : des hautes fougères qui masquent les obstacles au sol, des plants à dégager.
Or, préparer les chantiers en nécessite de prendre en compte la "densité de peuplement", ce qui permet d'ajuster la charge de travail.

Si l'appréciation des saisons pour le travail en forêt reste d'abord individuelle et peuvent être différentes selon l'âge des travailleurs, le temps sec et froid de l'hiver est apprécié avec le réchauffement dû à l'activité physique.
Les précipitations gênent le travail, le réchauffement est moins facile. Le temps venteux est craint, l'abattage nécessitant de définir la direction du houppier.

La technicité du travail varie avec la nature du chantier et sa préparation

Le contexte économique évoqué plus haut conduit à augmenter les périmètres d'intervention et négliger les préparations de chantier avec pour conséquences : une moindre visibilité sur la programmation des activités, un allongement des temps de travail journaliers. La journée de travail dépend aussi de la régularité des déplacements, de l'éloignement du chantier, une fatigue cumulée conduisant à de plus nombreux accidents.
L'intensification de l'exploitation induit l'abattage de plus en plus fréquent d'arbres feuillus en feuilles. Le travail est alors plus délicat. La sève présente dans l'arbre dégrade la qualité du bois, augmente la pénibilité, multiplie les opérations de maintenance des chaînes de tronçonneuses. Pour tenir les objectifs de volume, le bûcheron peut alors procéder à dangereux désencrouages.
La "cohabitation" des zones d'abattage avec la faune, les chasseurs et randonneurs, malgré des mesures de signalisation, est source de stress. Celui-ci s'accroît lorsque le chantier est en bordure de route, d'une voie ferrée, d'une ligne électrique.
A cela peut s'ajouter l'été les piqures d'insectes dont les effets urticants, allergisants ou contaminants peuvent être graves selon les personnes.
Enfin, l'impératif du port quasi systématique des équipements de sécurité suppose d'affiner les choix de matériel (nouveaux matériaux, adaptation personnalisée…) pour éviter d'entraver l'activité et de rendre plus inconfortable le travail. La situation de travailleur isolé perdure souvent, rendant nécessaire des systèmes d'alerte qui ne soient pas défaillants (fiabilité à l'usage des systèmes techniques, couverture des réseaux téléphoniques…).


haut de page

Des solutions préventives

Prendre comme levier d'action la sécurité du travail suppose donc de tenir compte et d'intégrer ces différents facteurs pesant sur les conditions de travail si l'on pense "action en amont".
Quelles voies emprunter ?

L'évaluation des risques

Mettre en œuvre des solutions préventives suppose, pour qu'elles soient adaptées, de réaliser une évaluation des risques répondant aux conditions particulières et la réalité du chantier concerné.
De l'analyse des facteurs d'accident, cette évaluation des risques est souvent insuffisante et/ou formelle. Elle méconnaît par exemple les caractéristiques du terrain (déclivité, failles, plan d'eau, sources, etc…), des arbres à abattre, de l'état sanitaire du peuplement du bois (chablis massifs, arbres morts, arbres enchevêtrés…), la présence d'ouvrages (lignes électriques aériennes, carrières, voies ferrées…), les risques biologiques (tels que la rage ou la leptospirose).

Ce travail en amont est d'autant plus pertinent qu'il prend en compte les spécificités du chantier.

L'organisation et la planification du travail sur le chantier forestier

Ce travail d'anticipation dans l'organisation et l'éloignement des chantiers est un point clef pour les pouvoirs publics, les donneurs d'ordre, les employeurs.
Il doit reposer sur la nécessaire adaptation de la nature et de l'organisation des activités aux objectifs de production et aux facteurs de pénibilité, et donc prendre en compte les saisons, les reliefs, la nature des travaux, la gestion de la co-activité, le périmètre de sécurité pour les salariés, le balisage du chantier pour les tiers…
Il intègre l'organisation des secours dans ses conditions de mise en œuvre. Il stabilise autant que possible les équipes, en proscrivant le travail isolé, notamment si les outils d'alerte ne sont pas opérants. Il est de nature à éviter l'usage de matériel défectueux, le manque de protection individuelle.

L'information et la sensibilisation des entreprises et des travailleurs - la formation des ouvriers forestiers

L'information et la sensibilisation des parties prenantes sont également des besoins clefs connexes aux questions de sécurité du travail qui, en l'occurrence, concernent les pays d'accueil des travailleurs détachés et les pays d'envoi des travailleurs détachés.
Il est de même pour la qualification et la formation des ouvriers forestiers, facteurs d'acquisition des "règles de l'art" (cf. respect des distances de sécurité lors de l'abattage par exemple) et de transmission des savoirs prudentiels.
Le défaut de formation de l'ouvrier est un constat commun quelle que soit la nationalité de l'ouvrier. Il apparaît toutefois que les salariés d'origine étrangère sont souvent aguerris aux travaux forestiers les plus courants. Mais sans réelle qualification et formation initiale, ils sont plus vulnérables dès que le chantier est plus complexe. En l'absence de détachement légal, ces salariés sans couverture sociale, sont contraints d'utiliser les indemnités de logement et de nourriture en cas de problème de santé.

En France (en référence au cas présenté) de nouvelles règles d'hygiène et de sécurité applicables sur les chantiers forestiers sont en vigueur depuis 2011. Ces dispositions instaurent des obligations pour le donneur d'ordre (notamment l'évaluation des risques formalisée sous la forme d'une fiche de chantier et l'information du personnel exécutant les travaux) et pour l'entreprise sous-traitante (notamment l'organisation et la planification du chantier, la communication de la fiche de chantier aux salariés).

Même si, de manière générale, on ne dispose pas encore suffisamment de recul sur l'impact de ces dispositions réglementaires, celles-ci offrent un cadre d'action pour intervenir sur la santé et sécurité au travail.

Le Plan "Santé au Travail 2010-2014" du Ministère du Travail dont les objectifs mobilisent l'ensemble des parties prenantes concernées, autorités publiques, organismes de prévention et partenaires sociaux, constitue plus largement une réponse à la persistance des accidents du travail sur les chantiers forestiers (40 accidents graves survenus entre 2003 et 2008).


haut de page

Mise en perspective avec le secteur de la construction

Le parallèle peut être fait avec le niveau d'accidents que connaît le secteur de la construction, les obligations de sécurité relative au risque de chute de hauteur, aux équipements adaptés. La mise à disposition de protections individuelles n'y est pas toujours systématiquement respectée, et cela autant par les entreprises étrangères que (dans une moindre mesure) par les sociétés françaises. Le travail en amont d'anticipation et de coordination est dès lors crucial pour agir efficacement sur les conditions de travail.

Les leviers d'action, en termes de contrôle et de surveillance, y sont en outre plus nombreux :

  • La transparence est plus importante. L'information du maître d'ouvrage d'une intervention d'une entreprise sous-traitante est en France encadrée et son défaut est sanctionné. Tous les acteurs d'une opération de construction immobilière sont juridiquement liés.
     
  • Les services de l'administration de l'existence du chantier ont une meilleure connaissance des chantiers (déclaration de chantier).

Cette connaissance est plus problématique pour le secteur forestier bien que la déclaration de chantier soit, elle aussi, obligatoire. Les chantiers clandestins sont plus fréquents.
Les déclarations de détachement y sont également plus rares.
Le contrôle est également plus difficile car le repérage des parcelles est compliqué, les salariés en situation de travail ne sont pas toujours présents, voire rarement présents. Les chantiers clandestins, les plus accidentogènes, sont souvent connus une fois qu'un accident est survenu.
Les nouvelles règles imposées dans le secteur forestier visent ainsi à encadrer davantage les opérations, à les rendre plus professionnelles pour laisser de moins en moins de place à l'approximation et aux risques.

Mais dans la mesure où ce secteur est de surcroît et par nature "isolé", il semble incontournable néanmoins, pour augmenter le niveau d'exigence en terme de sécurité, de favoriser l'information des salariés dans le pays d'origine.


haut de page